Lot 31
Moïse KISLING (1891-1953). Mère à l'enfant. Huile sur toile signée, datée 1940 et située à...












Moïse KISLING (1891-1953).
Bohémienne et son enfant.
Huile sur toile signée, datée 1940 et située à Marseille en bas à gauche.
Haut.: 100 - Larg.: 81 cm (jaunissement du vernis, petites craquelures).
Provenance:
Collection Louis Thène, mécène et ami de Moïse Kisling.
Joint les photocopies d'une importante correspondance entre les deux hommes.
Pour enchérir sur ce lot merci de contacter l'étude préalablement au +33 4 67 60 90 18 ou sur contact@farran-encheres.com, IL NE SERA PAS POSSIBLE D'ENCHÉRIR SUR LE LIVE.
Bibliographie:
Catalogue raisonné, Tome III, p. 168, n°198.
L'œuvre sera incluse dans le « Volume IV et Additifs aux Tomes I, II et III » du Catalogue raisonné de l’Œuvre de
Moïse Kisling actuellement en préparation par Marc Ottavi.
En 1939, Kisling s’engage comme soldat de 2e classe alors qu’il porte sur sa poitrine la Légion d’honneur. Il sera rendu à la vie civile l’année suivante après l’Armistice quand les Allemands occuperont Paris après avoir défait le front français.
Prévenu par André Salmon du danger qu’il court pour ses activités antinazies, Kisling se prépare à l’exil et se réfugie à Marseille dans l’espoir de passer au Portugal.
Durant son court séjour, il y peint quelques tableaux remarquables, dont celui que nous présentons. Un collectionneur, Monsieur Thène, l’achète immédiatement. A cette occasion Renée, l’épouse de Kisling, se plaint dans une lettre écrite à Monsieur Thène que l’argent de cette vente serve à Kisling pour fréquenter les prostituées.
On connaît l’attirance du peintre pour les modèles de rue, qu’il ne voit pas comme une simple représentation physique, car il y ajoute une dimension psychologique et sentimentale. Les bohémiens lui servent volontiers de modèles. Kisling se plaît à représenter ces errants perpétuels, fruit d’une antique migration. Dans « L’Épopée bohémienne », illustrée par Kisling, est décrite sa fascination pour ce peuple étrange, mystérieux, farouche et intuitif dont les femmes connaissent le passé et prédisent l’avenir.
En arrière-plan, une jeune femme assise, foulard noué autour du cou, est vêtue, suivant les coutumes d’habillement tziganes, d’une jupe longue et ample qui dissimule son corps. Volontairement effacée, elle tient en majesté une fillette, parfaitement apprêtée et parée, vêtue d’un costume traditionnel d’origine hongroise qu’elle a modifié à son goût.
Kisling ajoute à sa peinture ce qu’il perçoit, ressent et subodore. Dans notre tableau, la fillette est l’objet de toute l’attention de sa mère qui la regarde tendrement. Elle est à l’évidence son bien le plus précieux et le plus cher à son cœur. Peu importe le dénuement, un lien indéfectible les unit.
Marc Ottavi
Retranscription de la correspondance:
« La Baie »
Sanary s/mer (VAR)
10 XI 39
Cher Monsieur Thène,
J’ai peur ! très peur me sentant coupable a cause de mon silence - C’est de la faute
au pays - la faute au soleil et puis la faute a la guerre qui m’a fichue une bonne
réaction - Enfin j’ai commencé à travailler et j’ai fait une bonne toile de fleurs que
vous verrez au prochain envoie. Je viens d’expédier une caisse avec trois toiles dans
laquelles se trouve le nu retenu par madame Thène - J’espère qu’elles vous plairont
beaucoup. A part la belle vie d’ici je suis très malheureux – les militaires ne me
laissent pas faire du paysage vu que nous sommes en guerre et Sanary se trouve
dans la zone fortifié – Je partirai donc bientôt a Marseille que j’adore et travaillerai la
bas. J’ai expédié les toiles à mon marchand de couleur – Guichardaz 12 Rue
Campagne Première (à Montparnasse) je lui ai donné votre adresse quand les toiles
seront encadrés il vous téléphonera. J’espère que vous allez bien ainsi que madame
Thène et vous prie de recevoir mon souvenir le plus sincèrement amical.
M. Kisling
30 XII 39
Cher ami,
Je suis un salaud ! J’ai honte ! Je suis – je suis – je suis tout ce que vous pouvez
imaginer de mal de moi - Comment ! Rester si longtemps sans vous écrire sans vous
exprimer la joie que j’ai eu en lisant vos lettres ?! Non ! Non ! Non ! Ce n’est pas
possible ! Et pourtant …c’est vrai c’est vrai comme le jour que tous les jours j’aller me
mettre a table pour vous dire que je suis heureux d’avoir rencontrer un homme
comme vous sensible et qui me dit de si jolies choses au sujet de ma peinture – que
j’ai bien reçu les deux chèque que je suis heureux de pouvoir rester dans ce
Marseille qui me fait travailler beaucoup – J’aurai voulu vous dire des tas de choses
mais croyez moi que c’est plus facile pour moi de faire trois tableaux que d’écrire une
lettre surtout a Marseille. Où après le travail rentré a l’hôtel le soir – vingt amis
femmes et hommes vous attendent pour prendre un pastisse pour aller diner – aimer
et encore beaucoup d’autres choses – certaines avouables et d’autres …Je n’ose
même plus vous demander comment vous allez ainsi que Madame Thène. Comment
vous avez passé les fêtes et que va donnez la nouvelle année qui sera magnifique je
vous le souhaite de tout cœur ! A propos de Marie Laurencin j’aurai pu vous dire
beaucoup de choses mais il faudrait nous trouver devant nos toiles – et la – je
pourrais vous démontrer que nos sentiments notre compréhension de la peinture est
terriblement contraire. Vous dites que vous n’êtes pas critique d’art mon dieu !
Comme vous dites beaucoup de choses juste et plus vrai que les messieurs les
critiques ! Je ne vous dis pas que vous avez ou que vous n’avez pas raison au sujet
de Marie, mais je suis certain que vous sentez la peinture – C’est déjà beaucoup ! –
Avez-vous reçu les fleurs et le paysage ? Je devais vous envoyer encore une figure
mais elle n’était pas sèche. Je l’ajouterai à mon prochain envoie que j’espère vous
plaira beaucoup. Je vous prie de m’écrire ici – a Sanary je vais rarement – Je vous
prie humblement cher ami de me pardonner pour mon silence me rappeller au bon
souvenir a votre femme et votre belle sœur – et a vous cher ami toute mon amitié
sincère
Votre Kisling
17 quai de Rive Neuve
Marseille le 11 IV 40
Cher ami,
Vite un mot pour vous remercier de 3000 Fr et pour vous dire que ma main coure
…coure – vite pour finir l’envoie qui partira dans une caisse dans quelques jours.
Une sacrée garce et foutu le camps et c’est elle qui m’a mis en retard ce mois ci.
J’arrive a bout d’une brune blonde et rousse en plus un bouquet d’aromes. Donc
attendez avec patience ces quatre toiles – La curiosité me dévore de savoir déjà ce
que vous me direz dans la prochaine lettre. Marseille est toujours là. Et vous vous
obstinez ne pas vouloir manger une bonne bouillabaisse dans mes parages – vous
préférez Daumel …
Mes hommages a votre femme
Bien cordialement votre Kisling
10 5 40
Mon cher ami,
Merci pour votre lettre et les deux chèques – Au fond vous avez raison je ne suis
qu’un « fétard » - je prefère ça que « salaud » - Vous voyez comme je me juge
sévèrement !
Je ne sais pas si j’ai besoin toutes ces filles pour faire la fête mais je sais une chose
que je vis par elles et que je ne pourrais pas faire de la peinture sans elles. Je ne
sais pas si vous comprenez bien ce que je veux dire. Il y a quelque chose qui est
dans moi qui aime la femme pour la femme comme on aime le son pour le son – la
couleur pour la couleur - L’amour je m’en fous ! Je besoin leur présence – aucune
perversité ne me trouble autant que la pureté de la chaire – la peau qui arrete la
lumière et qui crée la couleur - Tout ça c’est bien complique et je ne sais pas moi
même ce qui me tracasse. Je vais vers la finision (finition) de mon prochain envoi. Il y
aura cinq toiles de 10 dont trois figures – un port de Marseille et un paysage de la
région que j’ai fais malgré l’interdiction du Général. Je commence de rentrer en plein
dans le bain de Marseille dans son vieux port et surtout dans les filles magnifique –
C’est dans l’envoi du mois prochain que vous allez le sentir – merci pour tout ce que
vous me dites ! Pourquoi le monde ne se compose pas de quelques uns comme
vous ? Meilleur souvenir a votre femme et votre belle sœur et toute mon amitié
sincère.
Votre M Kisling
17 quai de Rive Neuve
Cher ami,
Merci pour votre lettre et l’envoi de 3000 fr. Ne m’en voulez pas cher ami. Je n’ose
pas vous dire la vérité qui est simple mais qui peut être de circonstance – on la
connait celle là ! C’est comme une panne d’auto et pourtant elles arrivent souvent –
La mienne consiste a souffrir de la main droite qui était pendant 2 semaines dans
des pansements.
C’est la première journée que je peux écrire. J’ai glissé et suis tombé dans la rue sur
ma main droite. C’est bête. Moi qui me suis proposé de vous envoyer des nus, je
vous envoi des figures et seulement dans 3-4 jours. J’espère que le mois prochain
sera le mois des nus. Dites moi si vous êtes faché – si oui je me ficherai de ma
fenêtre dans le vieux port ou j’habite déjà ayant souffert de la vie d’hôtel. Comment
allez-vous ? Et madame Thène ? Que faites vous dans ce Paris qui ne me donne
aucune envie de faire un tour. Les femmes me réclament mais je ne veux pas quitter
les belles garces du vieux Port – Dites moi bientôt « sans rancune » et toutes mes
amitiés
votre M Kisling
La Baie 28 juin 1941
Cher monsieur,
Je transmets votre lettre à mon mari pour qu’il vous réponde lui-même car je ne suis
pas au courant de ses affaires, mais je peux tout de même vous dire que je ne pense
pas qu’il ait terminé les panneaux dont vous parlez, sans cela il vous l’aurait
certainement fait savoir.
J’ai souvent de ses nouvelles, il va heureusement très bien et travaille beaucoup
pour faire une exposition à New-York où il est en ce moment.
Voici son adresse 13 Gramercy Park
New York City
Je vous remercie cher monsieur pour votre très gentille lettre. Croyez que je suis très
touchée de l’amitié que vous témoignez à mon mari et veuillez agréer cher monsieur
l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
R.Kisling
Estimation : 80 000 € à 120 000 €