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Tout l'art de Bapst & Falize dans un bracelet

Lundi 04 Novembre 2024


Tout l'art de Bapst & Falize dans un bracelet


D’une rare virtuosité, ce bijou ouvragé et sans équivalent témoigne du degré d’excellence atteint par les créations du duo de joailliers, aussi fructueux que de relativement courte durée.

Année 1880, Lucien Falize et Germain Bapst – dont les familles gravitent depuis longtemps dans le petit monde de la haute joaillerie – décident de s’associer, donnant naissance à la maison Bapst & Falize, sise au 6 de la rue d’Antin à Paris. L’année suivante, sort de leur atelier cet incroyable bijou. « C’est l’un des plus beaux exemplaires de bracelet du XIXe siècle », s’enthousiasme Jacques Farran, de la maison Farran Enchères, qui le proposera à la vente en novembre. « Cette pièce de qualité muséale provient directement de la descendance de la famille de Germain Bapst. Il l’avait offert comme présent de naissance à sa belle-sœur, pour marquer l’arrivée de son neveu Charles, en 1881 », poursuit le commissaire-priseur. « Il n’est pas signé ni poinçonné, mais nous avons la très grande chance que l’aquarelle préparatoire à ce bracelet soit reproduite dans le catalogue raisonné que Katherine Purcell a consacré à la dynastie des Falize (page 236, ndlr). Il n’a été que très peu porté, et a été conservé dans un coffre, à l’abri des regards, ce qui explique son extraordinaire état de conservation et sa très belle fraîcheur. » En effet, on ne peut que s’émerveiller face à la vivacité des couleurs de l’émail polychrome. On croirait ce bracelet tout droit sorti d’un ouvrage enluminé de la Renaissance. Composé de douze médaillons articulés, il est une invitation à la contemplation.

Un hymne à l’amour

Ce bijou s’inscrit dans la vogue historiciste qui fait florès dans les arts décoratifs du XIXe siècle, sous le second Empire puis au début de la IIIe République. De la peinture aux bijoux, les artistes s’emparent des motifs de la Haute Époque et de la Renaissance, les retranscrivant dans une esthétique en phase avec le goût de leur époque. À sa manière, ce bracelet illustre cette tendance poussée à son paroxysme. Sur sa face avant, il convoque de grandes figures de l’histoire de France. Diane de Poitiers (1499-1566) d’abord, dont il reprend les emblèmes : carquois, arc et flèches mais surtout les croissants de lune – principaux attributs de la déesse chasseresse Diane. Sont également présents, sur deux maillons, les initiales entrelacées de la dame, soit deux « D » unis par une barre centrale. L’un les montre traités en émail bleu foncé, noués par un ruban rouge et surmontés d’une couronne royale, un croissant de lune en dessous, l’autre en émail rouge et traversés d’un phylactère sur lequel se lit la citation latine « Sola vivit in illa » (sic) : « Elle ne vit qu’en lui ». Devise que l’on retrouve dans la chambre de Diane, au château d’Anet. Ainsi figurés, les « D » forment implicitement un « H », qui n’est autre que celui d’Henri II (1519-1559). Le roi de France – fils de François Ier – est resté célèbre pour son histoire d’amour avec Diane de Poitiers, qui a marqué les esprits: la duchesse de Valentinois – qui fut sa gouvernante dans son enfance – de dix-neuf
ans son aînée, devenant sa favorite. C’est donc l’une des romances les plus marquantes de la Renaissance qu’exalte le bracelet. L’intérieur présente quant à lui une ornementation aussi travaillée que la face avant. « C’est extrêmement rare », précise Jacques Farran, qui ajoute : « On ne voit ça sur pratiquement aucun autre bijou de Falize et Bapst, c’est sans équivalent. » Unis par un même fond noir complété de rinceaux et entrelacs feuillagés, les médaillons représentent la créature fantastique par excellence du bestiaire médiéval : la chimère. Têtes de dragon, pattes de lion, ailes d’oiseau et queues de serpent sont colorées dans des dégradés d’émail translucide d’une haute technicité. Enfin, sur le dernier maillon, amovible, est lisible d’un côté un prénom : Charles, et de l’autre une date : 12 février 1881, celle de la naissance du
neveu de Germain Bapst.

Un duo d’exception

L’association de Germain Bapst et Lucien Falize en 1880 ne pouvait qu’aller de soi. Le premier descend d’une longue lignée prestigieuse de joailliers. Son arrière-grand-oncle, Georges-Frédéric (1756-1826) fut le premier du nom à porter le titre de joaillier de la couronne. Associé à Paul-Nicolas Ménière, il réalisa plusieurs bijoux pour la famille royale, dont l’épée de Louis XVI. Son cousin germain Eberhardt (1771-1831) s’associa ensuite avec lui. Il s’illustra notamment en sauvant les joyaux royaux du pillage lors des Cent-Jours, et en réalisant la couronne de Charles X. Germain, son arrière-petit-fils, fut le dernier à persévérer dans la joaillerie. Quant à Lucien Falize, il était le fils d’Alexis (1811-1898), célèbre joaillier formé par Mellerio et qui avait fondé sa propre entreprise en 1838. C’est là que Lucien fait son apprentissage, en étroite collaboration avec son père. Sa rencontre avec Germain Bapst, qui amène une prestigieuse clientèle de têtes couronnées, aboutit logiquement à la création de pièces exceptionnelles, à l’image de ce bracelet, véritable bijou d’orfèvrerie. Leurs œuvres sont assez rares dans les collections publiques, mais on peut mentionner un vase en argent de 1890 au musée d’Orsay, un service à thé en argent, ivoire et agate (vers 1889) au musée des Arts décoratifs, ou encore un pendentif en or, émail, diamants et rubis commémoratif du mariage de Roland Bonaparte et Marie-Félix Blanc, conservé à Rueil-Malmaison. Relativement courte puisqu’elle ne dura que douze ans – Germain Bapst choisissant de quitter les affaires pour se consacrer à sa passion pour l’histoire et les livres – l’association de ces deux créateurs de génie fut cependant des plus fructueuses, et permit la création de bijoux et d’objets significatifs d’un XIXe siècle créatif et florissant.

Lucien Falize (1839-1897) et Germain Bapst (1853-1921), 1881, bracelet articulé en or jaune émaillé polychrome à douze maillons et un maillon additionnel amovible, 19 x 2,5 cm, 90,1 g.
Estimation : 30 000/50 000 €

A savoir Samedi 23 novembre, Montpellier, Farran Enchères OVV.





Christophe Provot

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